Fatima Binet Ouakka, Presse virtuelle Maroc

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Extrait d'Entretien donné à la revue marocaine Nejma en décembre 2009


- En introduction, pouvez-vous vous présenter aux lecteurs de "Nejma" ? « interw pour un Magazine Nejma

- Je m’appelle Fatema Binet-Ouakka. Je suis née dans la région de Fès aux Aït Sadden. Cet anthroponyme signifie les « fils de la lumière ». « Asidd » est, en effet, un prénom en langue berbère, ici la langue tamazight, qui est l’équivalent de « nûr » en arabe, prénom qu’on associe le plus souvent à la religion dans cette langue puisqu’on y forge l’expression « nûr al-dîn », « noureddine », « lumière de la religion ». En tamazight, le nom est pris dans son sens absolu puisqu’il n’a pas de déterminant. Il faut alors comprendre ce que peut être cette « lumière ».

Est-ce lié au fait que l’on dise que les Aït Sadden sont connus pour leur sagesse ? Je ne sais. Cet ensemble humain des Aït Sadden est situé à un peu plus de soixante-dix kilomètres à l’est de Fès, plus précisément près du souk appelé Ras Tabouda, un des deux centres de ce groupe. Petite-fille, je gardais les moutons avec mes cousines, les sens toujours en éveil. Il s’agissait, d’abord, de trouver les meilleurs pâturages. Il fallait aussi faire attention à divers dangers. Mon père était militaire dans les Forces auxiliaires, ce qui lui permit de voyager. Ma mère, une femme pleine de courage, de volonté et de dignité, est restée femme au foyer. Je suis l’aînée de 10 enfants. Bref, je suis une Marocaine ordinaire. Du moins si on me compare aux autres enfants d’origine rurale de cette région.

Ma grand-mère maternelle me fit monter, un jour, sur un mulet pour aller au souk de Bir Tamtam. Et elle me dit : « Tu monteras un jour à cheval, non pas pour aller te marier, mais pour te déplacer là où tu voudras ».
Cette femme ignorait totalement ce qu’était réellement le monde extérieur à son village et cela pouvait expliquer le désir qu’elle manifesta ainsi indirectement. Ma grand-mère paternelle, avait le même point de vue. Elle savait lire et elle avait du plaisir présenter des contes. Mais elle aussi me dit : « Il faut que tu aies le courage, un jour, de partir, afin que tu sois libre. Il n’y a pas de frontières. Il y a une unité dans ce monde qui est occultée par les hommes. Quel que soit le pays, on y trouve la même chose, en particulier beaucoup d’amour. Ton grand-père allait de Fès en Mauritanie. Tu dois faire de même et ne jamais t’arrêter. »

J’ai réalisé, adulte, les injonctions des femmes de la génération précédente. La valeur de liberté était première chez elles. Mais la dureté de la vie qu’elles menèrent fit qu’elles ne purent la réaliser. Je fus donc doublement mandatée pour mettre en œuvre ce rêve collectif de femmes, créer cette liberté qui me fera échapper au destin. Ces femmes avaient un autre rêve, bénéficier, à leur tour, de ce qui était autrefois, dans la société patriarcale, un élément propre aux hommes, celui de circuler dans l’espace extérieur à l’espace domestique. Clairement, je devais faire comme mon grand-père qui allait en Mauritanie et même aller beaucoup plus loin que lui selon l’injonction prophétique qui ordonne à toute femme d’aller jusqu’en Chine, au moins pour y chercher la sagesse.

Inutile de souligner que ces femmes étaient portées par un rêve de mondialisation, tout autre que la mondialisation seulement économique des libéraux de tout genre. Les idées nationalistes, mais aussi toute forme de communautarisme, y compris celui qui s’étend à la umma, leur étaient totalement étrangères. Car elles mettaient en avant, dans leur hiérarchie de valeurs, une autre valeur qui était l’amour de tout membre du genre humain quelle que soit son identité.
Ce faisant, ces femmes énonçaient non pas des droits de l’Homme, mais des devoirs de l’Homme, à commencer par le devoir d’amour. Ces notions ne sont pas chez nous d’origine occidentale comme le disent un certain nombre d’ignorants. Elles sont nos valeurs les plus enracinées.
 
Paradoxalement, j’ai exercé ma liberté et j’ai découvert durant mes voyages, générosité, échange, tolérance, paix et amour cela m’a encouragée à aller beaucoup plus loin encore sur mes chemins de vie !