Critiques / Brigitte Camus
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Fatima Binet-Ouakka, le vertige de la couleur


Chez Fatima Binet, le thème, c'est la couleur, elle est jubilatoire, dense, nourrit l'œil et l'âme. Sa palette change au gré de ses humeurs et de son inspiration.
Ses premières toiles qui remontent à une quinzaine d'années- se caractérisent par de grands à plats de couleurs cernées de fusain noir.

Elle affectionne au départ les personnages dans des compositions déconstruites et déjà la couleur guide ses pas ou plutôt sa main. Elle choisit dès le départ la peinture à l'huile dont elle aime la puissance, la matière et l'odeur. Elle éprouve immédiatement la sensation d'osmose avec son sujet qui s'impose à elle et la dévore. Elle se sent possédée par sa toile qui lui raconte sa propre histoire ; une histoire qui existe.

« Je ne fais qu'exécuter ce qui m'est transmis » souligne cette artiste qui utilise essentiellement la peinture à l'huile pour ses très grands formats (4mX 4m)  avec quelques incursions dans le pastel sec sur papier pour des petits formats qui permettent des mélanges de matières : encres, fusains, pastels, pigments naturels d'or et d'argent propices à des incrustations calligraphiques et la création d'un alphabet pictural.

Abstrait ? Figuratif ? L'on pourrait classer Fatima Binet dans une forme expressionniste abstraite à tendance cubiste, sans occulter ses affinités avec l'orphisme et l'art non figuratif.
Elle affectionne les très grands formats et cède à l'automatisme gestuel dans un premier temps, pour ensuite « reprendre conscience », une étape nécessaire pour que la forme cède devant le contenu de l'inconscient.

Sa série sur les masques symbolise ce parti pris qui n'est pas systématique. Elle exalte la couleur jusqu'au paroxysme avec une prédilection pour un bleu très  « Manessier » et des Jaunes et des verts acidulés qui renvoient à la lumière de sa terre d'origine, le Maroc. Devant ses grandes toiles on pense également à Jean Bazaine avec la présence du rythme de l'oeuvre qui se développe sur toute la surface par des enchevêtrements de plans,  et envahit le regard en de grandes plages colorées.

Ne pas rester cloisonné, ne pas s'enfermer, Fatima Binet traduit cet état d'esprit sur sa toile en « perpétuelle changement de destin » pour une quête de la couleur juste et pure : elle n'aime pas les ton sales et les compromis. Donc pas de gris ou de noir mais des bleus, des rouges, des jaunes qui éclatent au visage. Devant ces étendues de couleurs, ces territoires de silences et de mystères,  l'on est pris de vertige, celui qui vous saisit aux portes de l'infini et de l'insaisissable.

Brigitte Camus